Musique du Moyen-âge tardif au monastère d’Engelberg

Les annales du monastère bénédictin d’Engelberg rapportent encore en 1365 l’événement décisif que fut la peste qui sévit au milieu du XIVe siècle. Elle avait laissé des séquelles profondes dans cette vallée isolée de la Suisse, au pied du glacier du Titlis. 

L’intérêt particulier pour la poésie et la musique, dont on trouve déjà très tôt le reflet dans les manuscrits de ce monastère fondé au XIIe siècle, est quant à lui, resté intact. C’est ainsi que vers 1372, quatre des quelques rares moines qui vivaient à l’époque dans le monastère, travaillèrent à la confection d’un recueil de chants et de poèmes. Ce travail fut poursuivi par un de ces moines, le futur abbé Walter Mirer, jusque vers 1400 et est conservé aujourd’hui dans le manuscrit 314 de la bibliothèque du monastère.

Ce recueil offre un aperçu unique en son genre de la musique que l’on pratiquait à cette époque en territoire germanophone, dans toute sa variété et sa spécificité. On y trouve, à côté de quelques textes en allemand, des chants en latin de formes les plus diverses et montrant comment on ornait alors de mélodies monodiques et polyphoniques les offices célébrés à l’occasion des fêtes liturgiques.

Au premier abord – et surtout quand on compare ce répertoire à l’art moderne du XIVe siècle tel qu’il est répandu en France et en Italie – cette œuvre semble présenter beaucoup d’éléments rétrospectifs. Effectivement, dans les monastères alémaniques de l’Allemagne du sud et de l’Autriche des pratiques anciennes sont conservées. Une de celles-ci consiste en une polyphonie primitive qui, en fait, n’avait pas besoin d’être notée et que l’on trouve consignée seulement à la fin du Moyen-âge dans des sources comme celle-ci. 

Les textes reprennent les thèmes des fêtes solennelles de l’année liturgique. Ils célèbrent l’anniversaire de la consécration de l’église comme celui du fondateur de l’ordre. Ils s’adressent avant tout à Marie, mère de Dieu. Un des traits fondamentaux de cette rhétorique musicale consiste à mettre en relief les mots et le message d’une manière sans cesse modifiée : dans le chant strophique comme dans les amples vocalises des alléluias du Moyen-âge tardif, dans la sonorité des chants à deux voix comme dans l’alliance des passages monophoniques et polyphoniques jusque dans l’artifice-même du motet où deux textes se superposent.

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De cette alliance originale entre l’ancien et le nouveau, entre les formes poétiques et musicales, il résulte une richesse qui anime d’une manière exemplaire ces chants d’Engelberg.
[d’après Wulf Arlt – in Livret du CD Codex Engelberg] 

 

POLYPHONIES DU MONASTERE D’ENGELBERG
codex 314 – XIVe siècle
Dominique Vellard
Emmanuel Bonnardot
Gerd Türk
et Schola Cantorum Basiliensis
CD Codex Engelberg [Deutsche Harmonia Mundi « Documenta » RD 77185] paru en 1991